Des hommes hamers cultivent leur lopin de terre dans les environs du sud-ouest de l’Ethiopie, le 17 janvier 2019. Fondation Thomson Reuters /Sebastien Malo
DEMIKA, Ethiopie - La première fois que Mukulo Orgo a coupé en deux une tomate, il s’attendait trouver à un fruit similaire à la mangue. Sortait-il d’une usine?, s’est-il interrogé.
« Les gens disent qu’il faut d’abord la laver, la couper avec un couteau et vous la préparez avec de l’oignon et avec de l’huile, pour la cuisson», dit l’homme, âgé de 40 ans.
Mais la première fois qu’il a abattu une vache, il savait parfaitement à quoi s’attendre.
La raison ? Comme beaucoup de ses pairs, sous la pression du changement, cet éleveur, né dans une communauté où l’on s’occupe du bétail depuis des millénaires, se reconvertit comme agriculteur climatique.
Pour des éleveurs comme lui, une occupation longtemps méprisée apparait désormais comme une bouée de sauvetage improbable au milieu des sécheresses qui surviennent encore plus fréquemment dans ce pays d’Afrique de l’Est.
Avec des sécheresses extrêmes cinq fois probables qu’il y a 60 ans dans certaines zones du pays, les quelque 12 millions de pasteurs qui vivent de leurs troupeaux de vaches, de chèvres et de moutons ont été lourdement frappés ces dernières années.
Dans la région Hamer, où vit Orgo, la moitié des 3 millions d’animaux que les éleveurs possédaient a péri durant la sécheresse particulièrement brutale de 2015-2016, lorsque la région a connu de très faibles chutes de pluie pendant 18 mois, selon les autorités de la province.
Les locaux parlent de carcasses nauséabondes et desséchées jonchant le sol à perte de vue, les mouches ne bourdonnant que sur les spécimens les plus frais.
Orgo, qui a perdu près de deux douzaines de vaches et une douzaine de chèvres, dit qu’il craint que l’enfance de ses enfants ne soit pas la même sans animaux.
«Sans le bétail, il n’y a pas d’enfance », dit-il, en se souvenant de leur compagnonnage lorsqu’il était petit. «Le bétail, c’est toute la vie des Hamers ».
UNE OMELETTE A LA TOMATE
Pourtant, avec deux femmes et sept enfants à nourrir, Orgo était le premier éleveur dans sa ville de 2 000 habitants à accepter l’offre, il y a deux ans, d’une parcelle gratuite d’un quart d’hectare (2500m2) à cultiver.
Le débroussaillage initial a suscité quelques moqueries de la part des autres villageois.
«Ils ont rigolé », dit-il. « Pourquoi travailles-tu cette terre ?».
Traditionnellement, les bergers pastoraux ont cultivé du sorgho et du maïs, en basant sur l’ancienne méthode consistant à semer des graines dans des plaines inondables, puis à les laisser pousser seules.
Mais quand, la première année, il a fait pousser 850 kg de tomates et d’oignons sur cette parcelle minuscule, cet homme trapu qui porte un bandeau de perles blanc et bleu s’est pris de passion pour sa nouvelle production.
Une omelette de tomates est « sucrée », dit-il. Les brochettes de chèvre restent son plat favori.
Depuis, Orgo a acheté une vache avec le profit et envisage de développer son affaire en vendant de l’huile et du sucre dans un petit magasin en ville.
Amsalu Amane, dont l’organisation à but non lucratif Farm Africa a aidé jusqu’ici les cultivateurs débutants avec du matériel -- y compris des systèmes d’irrigation goutte à goutte -- et pour la recherche de financement et la vente de leur production, estime que l’agriculture est en passe de gagner en popularité chez les éleveurs.
Certains ont snobé le débroussaillage dans un premier temps, d’après Amane, le coordinateur du projet. Par la suite, finalement, des résidents curieux sont venus visiter les lopins de terre.
Un ancien, après une marche de 5 kilomètres chaque jour pour venir sur l’exploitation, s’est lui aussi finalement décidé pour l’agriculture, dit Amane.
Environ 70 personnes ont depuis décidé de devenir « agro-pasteurs », travaillant sur des parcelles adjacentes tout en s’occupant également de leurs bêtes.
Et le projet s’est étendu à trois nouvelles zones, dit Negusu Aklilu, à la tête du projet d’aide, financé par le Programme pour la Construction de la Résilience et l’Adaptation aux Extrêmes Climatiques et aux Catastrophes (BRACED), pour Farm Africa, basé au Royaume-Uni.
SOUS PRESSION
Si tout va bien, près de 70 000 éleveurs auront diversifié leurs revenus une fois le projet d’aide achevé, en mars, soit à travers l’agriculture mais aussi d’autres activités comme la production de miel et de bois, dit Aklilu.
«Il n’est pas facile (de faire des changements) mais ils n’ont pas d’autres options », dit-il.
Le changement climatique « met plus de pression sur les communautés pour faire autre chose, ou manger autre chose, plutôt que de dépendre sur ce mode de vie antérieur ».
Les spécialistes ne sont pas d’accord sur l’efficacité du mode de vie pastoral face à l’aggravation de la sécheresse, certains prétendant que des éleveurs, bien soutenus et disposant de suffisamment de terres, de points d’eau et de soins vétérinaires, peuvent continuer à prospérer.
Mais la raréfaction des terres disponibles pour faire paître les animaux, du fait que beaucoup de pays africains essaient de développer, d’étendre l’agriculture, rend l’élevage plus difficile -- et vulnérable à des conflits avec les agriculteurs -- dans beaucoup d’endroits.
Les experts disent que les éleveurs ou les agriculteurs qui peuvent augmenter le nombre de leurs produits et leurs sources de revenus seront probablement plus résistants au climat et autres chocs.
Les Hamers et les Boranas, et d’autres tribus pastorales vivant dans les zones arides et les basses terres de l’Ethiopie subissent depuis longtemps les pressions du gouvernement pour se conformer à un style de vie sédentaire.
Tandis qu’ils traversent les frontières à la recherche de pâtures, durant la transhumance, les éleveurs sont souvent perçus comme une menace pour la sécurité. La crainte étant qu’ils se livrent à du trafic d’armes avec les rebelles, dit Argaw Ambelu, professeur à l’Université éthiopienne de Jimma.
La population non-sédentaire est aussi un défi pour la capacité du gouvernement à fournir aux éleveurs les services publics de base, que ce soit des hôpitaux, des écoles, dit Ambelu.
L’économie en plein essor de l’Ethiopie signifie aussi que des terres publiques sur lesquelles les animaux paissaient sont de plus en plus allouées à des projets industriels.
Le plan de l’Ethiopie de développer son industrie sucrière s’est étendu à cette zone, avec des plantations de cannes à sucre prévues dans deux districts voisins de Hamer, selon la Ethiopian Sugar Corporation (la Société éthiopienne du Sucre).
En conséquence, les éleveurs ont souvent vu leur mode de vie décliner lentement sous le poids de nouvelles contraintes, estime Ambelu.
Toutefois, les bovins pèsent encore beaucoup dans les traditions des Hamers. Ainsi, un jeune homme qui demande une jeune fille en mariage doit franchir une file qui peut aller jusqu’à 30 boeufs, un à un, sous le regard de son amour, explique Amane, chez Farm Africa. Une chute et le voilà considéré comme n’étant pas encore prêt pour le mariage.
Les vaches sont aussi cédées en guide de dot.
«Les activités de peuplement érodent définitivement la riche culture des pasteurs », dit Ambelu.
VACHE A LAIT
De retour dans la campagne de Demika, Turimi Turga, âgée de 42 ans, commence par dire combien le fait d’ajouter l’agriculture à ses compétences s’avère une bonne chose.
« Avant, nos grands-parents, quand il y avait une sécheresse, se déplaçaient pas loin pour aller prendre de l’eau. Maintenant, les gens se battent entre eux [...] pour de l’eau et des pâturages », l’eau étant devenue plus rare, dit-elle.
Elle est impatiente de voir, en avril, les tomates bien rondes et les poivrons verts et brillants pendre de ses plantations.
Turga, avec trois douzaines de femmes se partagent un petit lopin de terre voisin de celui d’Orgo, dans une plaine que vient égayer un acacia isolé, quadrillée de tuyaux noirs en caoutchouc (le système d’irrigation goutte à goutte).
Elle dit espérer acheter du bétail avec les bénéfices engrangés par la vente de sa production.
Elle se voit toujours comme une éleveuse mais cela fait environ deux ans qu’elle n’a pas gardé un troupeau. La sécheresse de 2016 a tué les 15 animaux qu’elle possédait, dit-elle, la totalité de son troupeau.
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